Une opération chirurgicale à Beaumont en 1761

De 1747 à 1782, le vénérable curé de Beaumont-le-Vicomte, Monsieur Gabriel Yvart, a laissé à la fin de chaque cahier des registres paroissiaux un grand nombre de notes historiques sur la paroisse et ses évènements principaux de son époque.

C’est une mine de renseignements dans laquelle a puisé son successeur du début du XXème siècle, le Père Louis BESNARD, auteur de nombreux écrits historiques sur Beaumont, et Dom Piolin, dans son histoire de l’Eglise du Mans, met Monsieur Yvart au nombre des historiens du Maine.

On sait ainsi qu’en 1753, de concert avec un ancien officier retiré dans sa terre de la Huverie, Monsieur Claude de Bellier de la Bussandière, il avait établi une milice bourgeoise pour faire cortège à la procession du Saint Sacrement. Ce fut en effet surtout sous la direction de Monsieur Yvart, et, plus tard, sous celle de l’Abbé Vallée, que la Confrérie du Saint Sacrement, érigée par l’Evêque du Mans le 30 octobre 1659 et approuvée par le pape Alexandre VII le 15 juillet 1660, eût tout son éclat.

Cette milice se composait des principaux jeunes gens de la paroisse qui s’enrôlaient volontairement et payaient un droit d’entrée pour en faire partie. Leur nombre s’éleva d’abord à 60, puis se développa pour atteindre plus de 80 en 1765. Ils prirent le nom de  » Fusiliers du Saint Sacrement » et furent divisés en plusieurs compagnies.

A la Fête-Dieu de 1761 la Compagnie des Grenadiers eut un uniforme particulier : sur une veste bleue, ils mirent des bandoulières cramoisies bordées de blanc. Pour aider à solder la dépense ils versèrent chacun la faible somme de 1 franc, des personnes généreuses procurèrent le surplus.

La population était fière de sa milice et les Fusiliers, de leur côté, étaient très unis entre eux et avaient une grande charité les uns pour les autres. On en eut une preuve vers la Saint Pierre de cette année (29 juin 1761). La plupart de ces jeunes étaient « sergers », c’est-à-dire qu’ils travaillaient chez des fabricants de serges, le tissage et le tannage étant, à cette époque, les principales activités artisanales à Beaumont.

L’un d’entre eux, Jean Le Marchand, se cassa la jambe si malheureusement qu’il fut impossible de la remettre en place. Les deux chirurgiens de Beaumont, Pierre-Louis Guitton et Jean-Baptiste Lécureuil, Sieur de la Ronce, s’étant consultés, et ne voyant aucun moyen de guérir le malade, résolurent de lui couper la jambe.

A cette époque les opérations chirurgicales étaient fort rares, et il fallait une vraie nécessité pour qu’on en vînt à cette extrémité. On ne connaissait pas encore le chloroforme ni les pansements antiseptiques et les blessés préféraient se laisser mourir plutôt que de subir un supplice atroce. Aussi, lorsque le patient et sa famille eurent donné leur consentement et que les chirurgiens eurent fixé le jour et l’heure de l’opération, une grande curiosité s’empara de toute la population et tous se portèrent en masse sur la Place des Halles pour en être témoins. L’opération se faisant à domicile, la porte de la demeure devait rester ouverte pour donner de l’air et de la lumière.

Devant cette troupe de gens qui assiégeait la maison et qui ne pouvait qu’incommoder, on fut obligé de choisir 4 Grenadiers et les prier de venir en armes pour garder la porte du patient de tout envahissement. Jean Le Marchand, malgré ses souffrances, restait calme et plein de confiance. Il avait mandé son curé, s’était confessé et avait reçu le Saint Viatique quelques heures auparavant, pour que le « Dieu des Martyrs » lui donnât la force nécessaire dans cette triste circonstance et voulut bien lui accorder une heureuse guérison.

L’opération eut lieu avec un plein succès et ne dura que quelques minutes (5 nous précise le Curé Yvart). Avant l’opération les 4 Grenadiers qui gardaient la porte se mirent à genoux et eux-mêmes convièrent toute la foule massée sur la Place à en faire autant. Ils récitèrent leur chapelet à haute voix pour que Dieu donnât au malade la grâce de la patience.

L’opération terminée et la foule s’étant retirée, tous les Fusiliers vinrent tour à tour visiter et consoler leur camarade. Mais ce qui, aujourd’hui, nous paraît extraordinaire, c’est qu’ils furent requis par les médecins pour maintenir le pansement sur la plaie de la jambe coupée. On n’avait pas encore de bandages élastiques et les ligatures étaient probablement insuffisantes.

Toujours est-il que 36 jeunes vinrent, tour à tour, placer leur main sur le membre amputé, au niveau de la plaie, chacun pendant une heure « afin de tenir l’appareil en respect et qu’il ne se séparât point de la partie supérieure de la jambe qui restait ».

Tel est le vieux récit que nous avons pu consulter, et qui nous donne ces détails extraordinaires. Jean Le Marchand guérit et vécut encore longtemps avec une jambe de bois, remerciant Dieu de lui avoir conservé l vie. Il épousa 3 ans après, le 20 juin 1764, Anne Fortin, qui le 15 avril 1770 lui donna une fille, baptisée sous le nom de Cécile-Anne.

J.M. Foussard,
Maire Honoraire

Curé Yvart – Chroniques – Louis Besnard – Notes d’Histoire Locale
Dom Piolin – Histoire de l’Eglise du Mans