Le Château de Beaumont

Notre vieux château est un des plus anciens témoins de ce que fut l’histoire de notre cité et a porté les marques des péripéties qui ont émaillé cette histoire, les unes bien connues, les autres pleines de zones d’ombre.

Il en est ainsi de l’origine de notre château et nous n’avons pas de date précise de sa construction. En effet, à cette époque, peu de gens, à part les moines, savaient lire et écrire et chacun apprenait ou se remémorait  les évènements par oral plus que par écrit. De plus tous les documents anciens (contrats, chartes, cartulaires, …) situaient les évènements, le plus souvent, par rapport à un personnage (Roi, Seigneur, Evêque, …) ou à un autre fait historique. Les recoupements nécessaires sont encore compliqués par la difficulté dûe au fait que les Vicomtes de Beaumont se sont tous prénommés Raoul, pendant près de 10 ans, jusqu’à l’avènement de Hubert en 1067 et qu’il ne leur était attribué aucun numéro d’ordre.

Les historiens s’accordent à dater notre château du XIème siècle. Pour les uns, il serait de vers l’an 1000, œuvre du Vicomte Raoul (II ?) car, gendre de Yves de CREIL, ancien grand Maître des Balistes de France, et beau-frère de Guillaume de Bellême, tous deux fort habiles dans l’art de construire des places fortes, on peut supposer qu’il utilisa leurs compétences pour édifier les défenses de Beaumont et de Fresnay et en faire de véritables villes-fortes. Pour d’autres il serait de la fin du XIème, hypothèse la plus difficile à retenir. Ceux qui affirment son existence au milieu du XIème siècle s’appuient sur son architecture et sur les évènements historiques.

En effet, il appartient à la famille des premiers donjons en pierres de forme rectangulaire ou carrée comme ceux de Beaugency, de Loches et de Cournemaut sur la Commune de Rouez-en-Champagne, et même à la famille des donjons normands de Nogent-le-Rotrou et de Ste Suzanne.

Sur le plan historique, les archives nous apprennent que lors  de l’affrontement entre le Comte du Maine et le Duc de Normandie pour la possession de notre région, le château et la ville de Beaumont furent pris et repris trois fois alternativement par Guillaume le Bâtard et Hubert de Beaumont de 1062 à 1064, Hubert sortant vainqueur de ce duel opiniâtre. Mais en 1073, devant une nouvelle invasion des Anglais et des Normands, il doit abandonner son château-fort de Beaumont, puis celui de Fresnay, pour se replier avec famille et guerriers à Ste Suzanne, dans son château situé sur un mamelon redoutable qu’il munit d’un donjon.

Après dix ans de calme relatif pendant lesquels Hubert inspira beaucoup de craintes aux Normands, le Roi Guillaume avec des forces considérables, vint assiéger Ste Suzanne en 1083. Après trois ans de résistance, Hubert, qui avait causé beaucoup d’échecs et de nombreux morts aux troupes Anglo-Normandes, fut convoqué en Angleterre par le Roi Guillaume qui « l’ayant traité amicalement, lui remit le domaine de ses pères » dont le château de Beaumont.

Ce qui reste de ce château ou plutôt de ce donjon, masse énorme de pierres imposante et sombre, comme une formidable sentinelle à l’entrée de la ville, n’en formait que la base mais nous permet de l’imaginer tel qu’il était à son origine. Il avait donc la forme d’un quadrilatère irrégulier de 33 m de long en moyenne sur 22 de large, le côté Nord ayant 2 m de plus que le côté Sud. Ses murs avaient de 2m50 à 3m30 d’épaisseur suivant leur exposition aux éventuels envahisseurs, et s’élevaient à environ 30 m au dessus de la rivière, c’est-à-dire 10 m plus haut que ce qu’il en reste. Dans cette partie haute se trouvaient les appartements du Vicomte et de sa famille et les logements de ses soldats. Flanqué d’une tour ronde dans l’angle Nord pour surveiller la ville et l’horizon, renforcé par de solides contreforts qui montaient jusqu’au sommet, ce donjon était un puissant élément de défense au pied du gué. La « baille » qui le prolongeait à l’est et comprenait communs et écuries, constituait elle-même une sorte d’avant-poste fortifié qui le protégeait.

La cité en avait besoin pour lutter contre les Anglais. Mais en 1135, le petit fils d’Hubert, Roscelin II, qui avait épousé Constance, fille de Henri Ier d’Angleterre et pris parti pour son beau-père, fut assiégé et finalement dut rendre la place. Les combats avaient été si rudes qu’il ne restait plus rien de la ville, incendiée et pillée, y compris église et château. Roscelin, dont le règne, dura plus de 50 ans, transmit la cité, restaurée, à son fils Richard.

Après plus de 2 siècles de calme, la guerre de 100 ans met à nouveau notre ville et son château à l’épreuve. Après le ravage des environs de Beaumont en 1356 par la compagnie anglo-navarraise de Philippe La Chèze, c’est en 1412 l’occupation de Beaumont pour le Roi de Sicile et le parti bourguignon par Antoine de Craon et Robert de la Heuze puis par Arthur de Richemont pour le Comte d’Alençon et le parti Armagnac. En 1417, Henri V, roi d’Angleterre débarque à Touques, s’empare de Caen, Alençon et Beaumont. En 1418 Ambroise de Loré et Pierre de Fontaines s’emparent du château de Beaumont après huit jours de siège. Repris par les Anglais en 1420, il redevient français en décembre 1421. Assiégé en septembre 1424 par une importante armée anglaise, Beaumont tombait en juillet 1425 puis fut libéré en août 1429. Au début mai 1432, ce fut le célèbre combat de Vivoin où Jean de Bueil, parti de Beaumont, réussit à sauver Ambroise de Loré, blessé, et leurs troupes mirent les Anglais en déroute. En mars 1434, la ville fut à nouveau reprise par une formidable armée anglaise après un mois de siège. Vers 1440, un coup de mains les chasse de Beaumont-le-Vicomte, mais le Comte de Somerset y rentre à nouveau en 1443 et ce n’est qu’en juin 1449 que Osbern Mundeford quitte définitivement la place-forte de Beaumont, chassé par Dunois.

Depuis la fin du XIVème, la famille de Beaumont était passée dans la famille d’Alençon. Les Vicomtes, étant en même temps Ducs d’Alençon, habitaient cette ville et notre château n’abritait plus qu’une garnison sous les ordres du Duc.

Vers la fin du XVème siècle, après la guerre de 100 ans, Louis XI ordonna la démolition des Châteaux-forts pour éviter les guerres entre seigneurs. Le château de Beaumont fut démantelé mais pas entièrement détruit. La partie supérieure du donjon fut démontée et tous les murs arasés à quelques mètres au-dessus du sol de la partie basse pour constituer une sorte de cour intérieure. Le château de Beaumont était ainsi réduit à sa base, ou culasse, d’où n’émergeait que la tour d’angle, maintenue en son état d’origine.

Lorsqu’en 1562, lors des guerres de religion, les calvinistes du Mans durent s’enfuir pour échapper à l’armée royale et prirent la direction d’Alençon, ils se trouvèrent arrêtés aux portes de Beaumont car les murailles n’avaient pas été démolies. Sous les coups des pièces d’artillerie des fuyards, les portes cédèrent et les assaillants se ruèrent dans la cité, tuèrent les premiers habitants qui tentèrent de leur résister, en blessèrent ou violentèrent un grand nombre, et incendièrent l’Eglise, les Halles et nombre de maisons après les avoir pillées.

Le château n’était plus une défense, il n’y avait plus de garnison.

Au XVIIème siècle, une petite maison fut adossée à la muraille Est du donjon pour servir de prison et de logement au geolier, notamment à partir de 1557, jusque pendant le XIXème siècle car les premiers gendarmes étaient logés en ville et ne disposaient pas d’autre prison.

Propriété de la Commune depuis la Révolution, notre vieux château fut mis en adjudication le 7 juillet 1901 et acheté par Monsieur FLORENTIN qui fit restaurer les vieilles murailles et les contreforts qui menaçaient de s’écrouler, faisait édifier, sur les épais remparts, de fausses ruines et construisant, dans la cour ouverte sur la vallée de la Sarthe, un pavillon style Renaissance du XVIème. Depuis il est resté propriété privée.

En juin 1940 les allemands envahirent la jolie maison Renaissance, s’installèrent comme chez eux, construisant sur la tour un poste d’observation qui vint la défigurer.

Notre vieux château servit encore de geole à la libération mais il eut surtout l’honneur de voir flotter sur ses ruines, après l’étendard des Vicomtes de Beaumont, celui des Ducs d’Alençon et celui du Roi de France, notre drapeau aux trois couleurs.

Jean-Marie FOUSSARD
Maire Honoraire

D’après : Orderie Vital – Abbé Angot – Dom Piolin
L. Didion – M. Passe – R. Triger – J. Vallée – M. Huron